la vie

18.8.06

Le poids de notre immortalité Jacques Salomé “On dit que l’on perd tous vingt et un grammes au moment de notre mort. Tous. » Légende ou fait avéré, en tout cas, cette phrase prononcée par l’un des personnages du film “21 grammes”(1) m’interpelle. Vingt et un grammes, ce n’est pas lourd s’il s’agit de quelque chose de consistant, que l’on peut appréhender par le toucher, ou cela peut au contraire être très lourd, selon notre imagination. La mort emporterait ailleurs quelque chose de nous qui n’est ni chair, ni sang, ni os, ni eau, quelque chose qui interroge, qui serait pour certains le poids de l’âme. Celle sommée ou poussée à quitter un corps qui ne peut plus l’alimenter, s’évade – je ne peux penser qu’elle s’évapore et disparaît à jamais pour aller se relier, se greffer ou se perdre dans l’immensité du divin, et se déposer sur un être en gestation si je crois en la réincarnation simple ! Toutes les hypothèses sont possibles, toutes les interrogations restent ouvertes sur la signification de cette différence, sur ce que représente, pour chacun d’entre nous, ces vingt et un grammes. Est-ce le poids de l’amour que nous n’avons jamais donné ? Est-ce le poids des rêves non réalisés ? Est-ce le poids d’une énergie que nous aurions pu utiliser pour répandre plus de paix dans le monde ? Est-ce le poids de l’espoir ? Je serais tenté pour ma part de croire que ces vingt et un grammes sont le poids de cette parcelle de vie que nous avons reçue en dépôt au moment de la conception et que nous devons restituer au cosmos. Comme si nous devions rendre à l’univers, au moment de la mort, cette parcelle de vie qui nous a accompagnés tout au long de notre existence. J’aime cette idée, même si j’imagine que certains d’entre nous ont pu, par leurs actions, leurs engagements de vie, leur dynamique personnelle, agrandir, augmenter cette parcelle de vie, et ainsi être en mesure de restituer, de remettre en circulation plus de vie qu’ils n’en ont reçu ! Ah ! ces vingt et un grammes m’ont fait beaucoup cogiter, rêver, anticiper, me perdre aussi parfois dans ce qui reste pour moi le mystère de notre présence sur Terre. Il m’est arrivé d’imaginer qu’ils vont en rencontrer d’autres dans l’univers et, telles des entités vaporeuses (je n’ose dire : semblables à des anges !), vont échanger, partager, « vivre » quelque chose que je ne peux pour l’instant concevoir ! Personne n’est revenu de l’au-delà pour témoigner du phénomène et nous entraîner dans le destin de ces vingt et un grammes. La biologie nous éclairera-t-elle un jour et nous confirmera-t-elle qu’il s’agit d’une « contraction de nos sels minéraux » ou d’une évaporation de quelques acides aminés ? Qu’importe, au fond. Pour l’instant, ils sont encore en moi, ces vingt et un grammes, j’y tiens. Et même si j’ai le souhait de perdre quelques kilos, deux ou trois par exemple, j’espère que mes grammes immortels ne feront pas partie du voyage. En écrivant immortel, il me vient soudain à l’esprit qu’il s’agit peut-être de cette part d’immortalité qu’il y a en chacun, qui, au-delà de l’homme temporel, inscrit dans une histoire et une durée de vie, m’habite et me transcende. Qui sait ? 1- “21 grammes” d’Alejandro Gonzáles Iñárritu. Avec Sean Penn, Naomi Watts, Benicio Del Toro (actuellement en salles). Psychosociologue et écrivain, Jacques Salomé est l’auteur de, notamment : “Les Mémoires de l’oubli”, avec Sylvie Galland (Jouvence, 2000) “Nous venons tous du pays de notre enfance” (Albin Michel, 2000). Internet : www.j-salome.com