La véritable urgence
La véritable urgence, ce calme, l’a gagné. Il ne dit plus ce qui n’a même pas besoin d’être réellement dit avec des mots. Tout juste au sortir des premières séances de radiothérapie. Il est soudain libre, libéré. Mais cette libération a un prix, un prix exorbitant, un prix que personne ne voudrait payer. C’est le prix de la paralysie , féroce, celle qui s’empare du corps et menace la pensée, la souffrance qui arraisonne tout et fixe l’échéance, la seule échéance qui compte : celle de mourir. Ce n’est pas que soit fixée la date ou le délai, mais soudain c’est l’évidence, la certitude concrète qu’au bout de cela, tout près soudain, et qu’importe le nombre de semaines, ou de mois ou de jours, au bout de cette souffrance là, de cette souffrance dévastatrice qui va chercher au plus profond de sa personne la force de survivre, au bout de cette souffrance là, il y a cette évidence soudain concrète de la mort, son néant simple, sa violence sans appel. Et cette notion là, peu a peu construite dans la façon même d’habiter la douleur, de la faire sienne en dépit de tous les embarras des médecins,
Ça a commencé sans prévenir, courant Mai. Je n’ai pas compris d’abord. Et puis assez vite quand même, j’ai su. C’était comme si se réalisait soudain quelque chose de prévu, de prévisible mais qui n’était jusque là inclus dans aucun plan, aucun programme, aucun échéancier. Ce n’est pas dans l’ordre des choses pourquoi un petit innocent, un gamin si joueur, si intelligent, si attachant, si….
C’est tellement rassurant, tellement vital de s’installer dans l’idiotie de l’immortalité, du monde où la mort ne serait pas possible concrètement, précisément, à une date donnée et pour une personne donnée.. Dès qu’il a été question d’une tumeur, j’ai deviné que c’était sérieux. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais les informations que j’ai pu rassembler ensuite (le site Internet de jeunes Solidarité Cacer "J.S.C.", les comptes rendus de colloques médicaux) me l’ont confirmé : c’était grave, c'est-à-dire mortel. Et rapide. Dès lors il y avait à s’installer dans une nouvelle sorte d’urgence. Les sentiments, les choses qu’on avait jusque là différé de faire, de montrer, il fallait désormais décider de les faire, de les montrer. Et vite. Ce serait bientôt trop tard. Il ne fallait pas prendre le risque d’aggraver les regrets déjà accumulés, les remords, les culpabilités. Pour une fois il fallait y aller.
La première réaction est celle de l’inquiétude, une espèce de volonté de savoir, de comprendre, de quantifier en fait les chances, les probabilités de s’en sortir. Mais déjà cette disposition contient sa dose de désespoir, de résignation ou plutôt d’entrée dans un temps d’urgence. C’est ça : le sentiment qu’il n’y a désormais plus de temps à perdre. texte écrit 2005
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