la vie

18.8.06

Perdre un être cher

Toute existence est une succession de naissances, qui se construisent autour de rencontres et de séparations. C’est ainsi que nous cheminons, grandissons ou errons pour accéder au meilleur de nous-mêmes. En suivant des chemins qui se révèlent parfois labyrinthiques et remplis d’obstacles.

Ma grand-mère, qui avait un regard lucide sur les choses de la vie, disait « qu’un seul jour de guerre va laisser dans le paysage plus de traces que cent jours de paix ». C’est ce qui explique peut-être combien nous sommes plus atteints par un événement malheureux que par un événement heureux. Et parmi tous les événements qui jalonnent notre vie, il a l’éventualité (la certitude) de perdre un jour un être proche, important ou aimé.

La disparition de quelqu’un d’essentiel va, d’une certaine façon, mettre fin à la relation que nous avions avec lui. Mais pas avec son souvenir. Parfois une relation ainsi interrompue va se révéler plus forte que nous ne le pensions. Nous allons sentir que beaucoup de messages importants, de sentiments, de ressentis forts circulaient entre cette personne et nous. Qu’il reste beaucoup d’inachevé. Que nous n’avions pas, par exemple, pu témoigner de toute la force de notre amour ; que nous avions gardé un contentieux auquel nous aurions pu renoncer ; que nous avions eu des velléités de réconciliation qui n’ont pas abouti. Des regrets et des nostalgies peuvent naître, surtout avec le réveil de certaines blessures anciennes, qui risque de faire remonter à la surface une souffrance et un désarroi qui vont bousculer notre vie.

Perdre un être cher et parfois de notre chair, c’est aussi être confronté à la perte de la toute puissance infantile. Toute puissance illusoire, que nous avions tenacement entretenu en nous les premières années de notre vie à l’âge où, tout bébé, nous pensions que l’univers était au service de nos besoins et de nos désirs. Que nous étions immortels. Nous l’étions d’une certaine façon à cette époque où le regard de notre mère contenait tout l’amour du monde, quand nous pensions en être le seul dépositaire. Nous avons gardé la trace de cette illusion bien longtemps après avoir découvert que nos désirs n’avaient pas toujours le pouvoir de modifier la réalité. Pour certains, ce sentiment de toute puissance a persisté. Puis nous avons découvert que l'existence se construisait autour de rencontres - certaines structurantes et d’autres plus toxiques - ainsi que de séparations - certaines choisies (éloignement, changement d’orientation, choix de vie) et d’autres imposées.

Nous avons ainsi appris à apprivoiser le désespoir et la peur d’être abandonné. A colmater nos tristesses, à panser nos déchirures. C’est ainsi que nous avons grandi à l’ombre du chagrin et dans l’éclat de la lumière du soleil appelé espoir. Mais quand c’est un être de notre sang, de notre chair, une personne aimée qui disparaît, c’est une véritable violence qui nous est faite. Violence susceptible de réveiller une blessure ancienne et de provoquer au-delà du désarroi un désespoir infini. Si nous avons appris qu’il est possible de restituer symboliquement cette violence "imposée", reçue contre notre gré, nous pouvons commencer à réparer nos blessures et retrouver des énergies de vie. J’ai décris (NDLR : in "Pour ne plus vivre sur la planète taire", Albin Michel) le processus à mettre en œuvre pour rendre cette démarche de réconciliation avec soi-même efficiente. La pratique des actes symboliques fait appel à une mobilisation de ressources trop souvent inexploitées, celles du cerveau droit. Peut–être pouvons nous accepter de nous appuyer sur ces ressources pour retrouver cohérence et mieux être.