la vie

10.5.06

Un jour la vie bascule et on se retrouve handicapé, paraplégique, tétraplégique. Il faut alors apprendre à vivre autrement. On fait le deuil d’un corps valide, on tente d’apprivoiser le regard des autres et puis parfois on ose imaginer l’avenir.Je préparais cette rencontre lorsqu’on m’a conseillé de contacter une personne dont le témoignage pouvait être intéressant. Tétraplégique depuis une dizaine d’année, cette femme avait pu vivre avec son handicap, le surmonter m’avait-on dit, et obtenir une certaine reconnaissance pourun travail artistique qu’elle développait depuis. Par téléphone, le témoignage fut à l’opposé de mes attentes. Il orienta notre reportage. « C’est lâche de réclamer l’anonymat », a-t-elle commencé par dire, « mais c’est déjà assez difficile ainsi : je dois respecter mes proches et ceux qui m’ont aidée depuis mon accident. J’en ai assez d’entendre ce que j’entends sur la personne handicapée. La manière dont les médias abordent la question du handicap n’est jamais que positive : on montre la réussite, jamais l’échec.On parle de la sexualité des handicapés, mais on n’aborde pas la question de l’incontinence. L’incontinence, c’est une réalité pour moi, pas la sexualité. »« La société n’a aucune idée de ce que nous vivons. Ne voir que du positif lui permet de se dédouaner. Moi, je suis mal, très mal. Imaginez ne fut-ce qu’une heure ce que c’est que de vivre couchée. J’ai envie de partir depuis l’accident. Je suis sous morphine du matin au soir, du soir au matin. Ma vie n’est que souffrance. C’est un enfer. Je ne suis pourtant pas la plus à plaindre. J’ai de l’attention autour de moi, et de quoi assurer financièrement mes soins qui s’élèvent chaque mois à 7 500 euros. Beaucoup d’handicapés subsistent avec une pension de 1 500 euros. J’ai aussi reçu une éducation dans ma vie précédente. Je m’occupe, je m’évade, je lis et je vais au cinéma. Il m’arrive même de voyager. C’est heureux, sans doute, mais cela n’empêche pas la souffrance et l’amertume. J’en veux aux chirurgiens qui m’ont ramenée à la vie. Ces gens vous sauvent, mais vous devez vivre avec votre handicap. Vous n’êtes plus rien de ce que vous avez été. Recoller des morceaux ne suffit pas. J’ai été aidée et je me suis battue. Je me bats toujours. J’ai retrouvé une certaine curiosité pour le monde et les gens, mais cela ne m’empêche pas d’affirmer que ma vie est un enfer. Allez dans un centre de rééducation ! Découvrez le monde dont je parle, demandez à un tétraplégique de quoi il rêve. Mon rêve à moi, c’est de ne jamais me réveiller. »« J’essaie d’accrocher la personne à la vie. »