la vie

6.5.06

Il faut se poser des questions sur ces escouades de psychiatres et de psychologues que l'on convoque immédiatement, dès que survient une catastrophe, auprès des proches des victimes, que l'on emmène en pèlerinage sur les lieux du drame pour les aider, dit-on, à «faire leur travail de deuil». Il s'agit là d'un abus de langage, et d'un abus de pouvoir, au nom des bons sentiments. Les gouvernements, aujourd'hui, sont convaincus qu'il est de leur devoir d'effacer immédiatement la douleur. A Charm el-Cheikh, on a voulu conjurer la mort en invitant les proches des défunts à accélérer un processus qui devrait être lent. Le deuil est désormais considéré comme une pathologie, alors qu'il s'agit d'un sentiment humain, normal, souhaitable, qu'il faut respecter en laissant du temps à celui qui l'éprouve et non en le poussant à l'effacer de sa mémoire. Les sociétés traditionnelles étaient organisées autour d'institutions stables, avec des rites de naissance, de passage d'un âge à un autre, d'initiation, avec le marquage de la différence sociale des sexes, et de séparation des vivants et des défunts. Les rituels de funérailles s'inscrivaient dans le temps, avec des vêtements appropriés de deuil, puis de demi-deuil, socialisaient le chagrin et la relation aux morts. Aujourd'hui, les biotechnologies, qui interviennent avant même la naissance et retardent l'âge de la fin, modifient notre rapport à la mort. Et la médicalisation neutralise les étapes de la vie. Dans un univers d'individualisme exacerbé, de repli sur soi, de culte de la performance personnelle, tout état de mal-être est dénié, vécu comme pathologique, y compris la souffrance due à la perte d'un proche. Le rapport pour une réforme de la psychiatrie, de juillet 2001, intitulé «De la psychiatrie à la santé mentale», illustre d'ailleurs cette tendance. Avec cette nouvelle version de L'Homme pressé, il s'agit de repousser les traces du défunt dans une mémoire historienne pour rester ad vitam aeternam un humain du pur présent. Ce refus du passé, des attaches et de la mort relève de cette idéologie du développement personnel qui vise à produire des êtres narcissiques et «désaffectivés». L'autre devient menaçant; le lien, dangereux. Il faut être toujours en forme, bannir la tristesse et le chagrin, alors que c'est souvent dans les moments de dépression que l'on est touché par les autres ou que l'on peut les aider. Dès lors, le deuil est considéré comme un état improductif et anormal, qu'il faut traiter. Cet hygiénisme de la psyché, loin de soulager ceux qui souffrent, finit par être culpabilisant. On est sommé de souffrir vite et fort. Et d'oublier encore plus vite.

1 Comments:

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    By Anonymous Anonyme, at 28/5/06 17:45  

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